Etrabonne (2003)
Jusqu’à présent, Etrabonne n’a jamais eu d’armoiries connues. Celles que nous avons composées pour la commune ont été approuvées par le conseil municipal le 2 juin 2003.
BLASONNEMENT
Coupé voûté et haussé d’azur à la comète passante d’argent, et d’or au lion d’azur.
Timbre : couronne murale à trois tours d’or, ajourées d’azur.
Devise : Astra bona me ducit (« une bonne étoile me guide »).
SYMBOLIQUE
Ces armoiries présentent les différents aspects de l’identité du village, sans se contenter de faire revivre les plus belles pages de son histoire : elles s’efforcent au contraire de faire le lien entre le passé et le présent, tout en se tournant résolument vers l’avenir.
Cet écu est volontairement simple. En cela, il reste fidèle à l’esprit de l’héraldique, pétri de sobriété et de concision. Trop de créations nouvelles cherchent à tout dire : compliquées, multipliant les allusions, elles noient chacun de leurs éléments dans des compositions qui sont à l’héraldique ce que le bavardage est à la parole. Au contraire, des armoiries se retiennent d’autant mieux qu’elles sont simples. Le projet décrit ci-dessous montre qu’il est possible de concilier le choix de la simplicité et la richesse de la symbolique.
Pourquoi d’or au lion d’azur ?
Nous avons cherché, parmi toutes les familles du village, à évoquer celle qui avait le plus contribué à son éclat, à sa renommée et à son aspect actuel. Trois familles seigneuriales sont liées à Etrabonne : les barons d’Etrabonne, les ducs d’Aumont et les Pourcheresse de Fraisans.
La famille d’Aumont figure parmi les grands noms de l’histoire de France et fut admise aux plus hautes dignités du royaume. S’illustrant dans la carrière des armes, elle donna deux maréchaux de France et un capitaine des Gardes du Corps du Roi Louis XIV. Toutefois, cette famille, qui n’était pas originaire de la région et dont les intérêts étaient à la Cour, séjourna peu au château d’Etrabonne dont elle confia la gestion à un officier seigneurial.
Lorsque la seigneurie fut mise en vente, Jean Pourcheresse s’en porta acquéreur en 1723. Dès lors, cet anobli de fraîche date put accoler à son nom celui de la prestigieuse baronnie d’Etrabonne. la seigneurie resta dans la famille seulement trois générations, et hormis par quelques travaux au château, elle marqua peu l’aspect du village. Si Jean Pourcheresse était chevalier, c’était seulement d’industrie : il devait en effet son immense fortune aux forges dont il était le maître, notamment à Fraisans et Dampierre. L’acquisition de la seigneurie d’Etrabonne lui permit de couronner son ascension sociale.
Les Aumont et les Pourcheresse firent peu pour Etrabonne, se contentant essentiellement de tirer revenu du domaine qu’ils y possédaient.
En revanche, les barons d’Etrabonne marquèrent profondément le village pendant des siècles, et ce jusqu’à aujourd’hui, étendant dans de nombreux domaines leur influence bien au-delà des murailles de leur château.
Sur le plan militaire
Dans la société médiévale, il revient à la noblesse de se battre pour défendre – en principe – ceux qui travaillent et ceux qui prient. A ce titre, les barons d’Etrabonne ne faillirent point à leur tâche : ils servirent avec distinction dans les armées comtoises, puis participèrent au mouvement de révolte des grands seigneurs comtois contre Otton IV. Entrés au service des ducs de Bourgogne, ils allèrent se battre jusqu’en Flandre. Grâce à ses qualités guerrières autant qu’à ses conseils avisés, Guillaume III d’Etrabonne fut nommé chambellan du duc de Bourgogne. Il n’y a pas de grand seigneur sans forteresse : les sires d’Etrabonne n’échappent pas à la règle : ce sont eux qui firent bâtir puis embellir le château dont les restes bien conservés témoignent toujours de la puissance de cette famille.
Sur le plan judiciaire
Guillaume III d’Etrabonne obtint en 1436-1440 la création d’un bailliage, cour de justice dont le resort s’étendait sur toute la seigneurie, incluant les villages d’Etrabonne, Mercey, Romain, Vigearde, Taxenne, Rouffange, Lantenne, Vertière, Courchapon et Cottier. Le bailli, qui rendait justice au nom du seigneur dans une maison qui existe toujours, assura ses fonctions jusqu’en 1790.
Sur le plan économique
Guillaume II d’Etrabonne chercha à développer le village : en 1355, il en affranchit les habitants de la mainmorte afin d’inciter des étrangers à s’y installer. Ce faisant, il espérait encourager le commerce et, par la même occasion, augmenter les revenus qu’il tirait des taxes marchandes. Même si cette mesure était intéressée, elle n’en constitua pas moins une amélioration sensible de la condition des villageois.
Sur le plan social
Le baron Guillaume Ier d’Etrabonne fonda en 1310 un hôpital au village afin de recueillir pauvres, pèlerins, voyageurs et malades à qui étaient offerts le gîte et le couvert. Il soulagea ainsi les sujets de sa baronnie qui avaient souffert des misères de la guerre.
Sur le plan religieux
Les sires d’Etrabonne fondèrent le prieuré du Moutherot puis, en 1140, une chapelle en l’honneur des Trois Rois. Par leurs dons, ils participèrent à la fondation des abbayes d’Acey, Corneux et Corcelles.
Le village actuel conserve d’importants témoignages architecturaux de la politique des barons d’Etrabonne, dont les effets se firent sentir bien après l’extinction de la famille à la fin du XVe siècle. Il est donc légitime de faire figurer leurs armes d’or au lion d’azur en bonne place sur l’écu du village[1].
Pourquoi une comète ?
D’hier à aujourd’hui, il existe dans l’identité d’Etrabonne une constante, liée au thème du voyage.
Etrabonne est depuis l’Antiquité un lieu de passage très fréquenté
Depuis l’Antiquité, une voie romaine passe non loin de là : c’est elle qui aurait, d’après les recherches les plus récentes, donné son nom à la commune : Etrabonne serait en effet un dérivé de « strata bona » signifiant « la chaussée de bonne qualité »[2].
Etrabonne est un haut lieu du culte des Rois Mages en Franche-Comté et au-delà
Peut-être est-ce en liaison avec cette route et l’important trafic qu’elle a généré que dès 1140 est fondée une chapelle en l’honneur des plus prestigieux des voyageurs, les Rois Mages. A partir de cette date, le culte des Trois Rois va se développer et connaître la notoriété bien au-delà des frontières de la Franche-Comté.
L’évangile de saint Matthieu nous précise que les Mages « prirent une autre route pour rentrer dans leur pays ». C’est peut-être cette précision qui est à l’origine de la charmante légende d’Etrabonne. N’ayant plus d’étoile pour les guider, les Rois Mages se perdirent sur le chemin du retour, et les hasards de leur errance les amena dans nos contrées, en un lieu où coulait une fontaine. Après s’y être désaltérés, le premier y trouva l’eau à son goût, le deuxième ajouta qu’elle était bonne, et le troisième, entraîné par l’enthousiasme de ses deux compères, s’écria : « Elle est très bonne ». Ce serait en souvenir de cette exclamation que le lieu aurait depuis lors porté le nom d’Estrabonne.
Cette légende, dont les détails varient, ne constitue qu’un des aspects du culte rendu aux Trois Rois depuis au moins 1140. La fontaine des Trois Rois acquit au cours des siècles une très grande renommée, dont le cosmographe de la Renaissance François de Belleforest se fait l’écho : « C’est en Franche-Comté que est ce lieu tant recognu par les estrangers, appelé Strabonne, appartenant aux seigneurs d’Aumont et aux aisnés d’icelle maison, comme un apanage non aliénable de la famille, à cause de cette prérogative que Dieu leur donna, l’esgard de ceste place de Strabonne, qui est de telle sorte. On tient que du temps que les corps saints des trois sages qui vinrent adorer Nostre-Seigneur, furent portés à Cologne d’Italie, on les reposa quelque temps en ce village de Strabonne en la Franche-Comté, de sorte que depuis y ayant esté fondée une chapelle, près laquelle a source une fontaine d’eau vive, les malades des escrouelles qui vont en pèlerinage en ce lieu et boivent de l’eau de ceste fontaine et mangent du pain de l’aumosne donné en cette chapelle, ne faillent de s’en trouver allégez, et est grande merveille que les seigneurs de Strabonne portent ordinairement avec eux de ce pain duquel ils donnent, non sans effect, à ceux qui sont atteints de ceste maladie. Ceste chapelle est bastie au nom des Trois-Rois, et les plus consciencieux estiment que par les prières de ceux-cy, les patients reçoyvent allégeance. Or, de ce miracle tant grand et si ordinaire, m’ont fait foy deux ou trois gentilshommes à qui l’on croye, qui m’ont juré d’en avoir veu de grandes et merveilleuses expériences. ».
Ce témoignage, pour inexact qu’il soit, (la fondation de la chapelle est antérieure au passage des reliques en 1164 et rien, pour l’heure, ne permet d’affirmer que le convoi qui les transportait s’arrêta bien à Etrabonne) montre que le culte des Rois mages d’Etrabonne connaissait un rayonnement à l’échelle européenne dont le souvenir mérite d’être maintenu.
Etrabonne possède un des plus anciens circuit de moto-cross de la région
Décidément placée sous le signe de la route et du déplacement, Etrabonne perpétue aujourd’hui cette tradition par un moto-cross réputé qui fait la joie des amateurs de sports mécaniques.
Des voyageurs antiques aux motocyclistes d’aujourd’hui en passant par les Trois Rois, la comète, symbole du voyage et du déplacement trouve tout naturellement sa place sur les armoiries d’Etrabonne.
Pourquoi la ligne qui sépare les deux parties de l’écu est-elle ployée ?
Cette courbure évoque le site du village, dominé par la colline du Moutherot. Point culminant de cette partie de la vallée de l’Ognon, la colline est intimement liée à l’histoire d’Etrabonne puisque le prieuré qui le domine fut fondé par un des sires d’Etrabonne.
Pourquoi l’azur et l’or dominent-ils ?
L’azur et l’or sont les deux principaux émaux des armes de la Franche-Comté, région à laquelle Etrabonne est fière d’appartenir.
Pourquoi une couronne murale ?
La couronne murale est le symbole de l’autonomie et des libertés municipales. Elle convient particulièrement bien à Etrabonne, village célèbre pour son château.
Quant aux trois fenêtres ajourées d’azur, elles symbolisent les trois sources du village.
Pourquoi la devise Astra bona me ducit ?
Astra bona me ducit signifie « une bonne étoile me guide » en latin médiéval.
A une époque où le nom du village n’était plus compris, certains le latinisèrent en Astrabona, Astrabonna ou Astrabone. Sans doute influencés par le culte des Rois Mages qui se développait alors, les scribes du Moyen Age voulurent sans doute voir dans le nom du village une évocation de l’astre qui guida les trois souverains. Même si en latin classique, « bonne étoile » se dirait plutôt aster bonus, nous avons préféré maintenir la forme médiévale qui permet d’évoquer à la fois le nom de la commune et la bonne étoile.
Cette évocation permet d’introduire une note philosophique dans cette composition héraldique : chaque habitant du village verra dans cette bonne étoile non seulement le destin favorable qui a permis au village de survivre à toutes ses difficultés, mais, au-delà, le symbole des idéaux que chacun, à l’image du lion sur l’écu, se doit de suivre avec ténacité, sur le plan tant individuel que civique.
SOURCES
Paul BAILLIART, Petite histoire d’Etrabonne et de son château, Massy, 1962.
Denis BRUN, « Etrabonne », dans Dictionnaire des communes du Doubs, t. III, Besançon, 1984, p. 1191-1194
Charles BEAUQUIER, Blason populaire de Franche-Comté, Paris, 1897, p. 121-122.
Jules GAUTHIER, Notice sur la baronnie d’Etrabonne et ses seigneurs, Besançon, 1876.
Jules et Léon GAUTHIER, Armorial de Franche-Comté, Paris, 1911, p. 11.
Gabriel GRAVIER, Franche-Comté, pays des légendes, t. I, 1980, Lons-le-Saunier, p. 172-173.
Roger de LURION, Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, p. 299-300.
Je tiens à remercier chaleureusement M. Olivier BAILLIART pour sa contribution aussi enthousiaste qu’éclairée à cette étude.
[1] C’est par erreur que Jules Gauthier, dans sa notice qu’il consacre à Etrabonne, donne aux barons un écu d’azur au lion d’or (p. ). L’érudit rétablit les armes correctes d’or au lion d’azur dans son Armorial de Franche-Comté, Paris, 1911, suivant en cela la description donnée par Roger de LURION dans son Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, p. 300.
[2] « Mise à jour des manuels d’onomastique » dans Nouvelle revue d’onomastique, n° 13-14, p. 183, article Etrabonne.