Dampvalley-Saint-Pancras
Dampvalley-Saint-Pancras n’a jamais eu d’armoiries anciennes. Il y a quelques années, il avait été proposé à la commune de reprendre un écu « d’argent au sautoir alésé de gueules chargé de cinq molettes d’or », armes attribuées à la famille Courtaillon de Dampvalley. Or il est déconseillé aux communes de reprendre telles quelles les armes d’un de leurs anciens seigneurs, d’abord parce que les armoiries sont des propriétés privées protégées par la loi (or rien ne dit que la famille soit éteinte), ensuite parce que l’identité d’une commune ne se réduit pas au souvenir d’une seule famille, souvent oubliée de la population.
C’est pourquoi j’ai proposé à la commune un projet qui rende mieux compte de son identité. Ces armoiries ont été adoptées à l’unanimité par une délibération du Conseil municipal en date du 12 février 2005.
Blasonnement
De sinople à deux palmes d’argent passées en sautoir et entrelacées avec un cœur vidé d’or ; chapé ployé à dextre d’argent au flanchis de gueules et à senestre de gueules au mouton paissant d’argent.
Devise : « selon mon cœur ».
Symbolique
Ces armoiries s’attachent à représenter de manière simple la riche identité culturelle de la commune :
1. Le nom de la commune dans la partie centrale de l’écu
Le toponyme est formé sur le bas-latin domnus, équivalent de sanctus (« saint »), suivi de Valérius. Dampvalley est donc un village placé à l’origine sous la protection de saint Valère. Fuyant Langres aux mains des Vandales (411), Valère rencontra à nouveau sur son chemin des Barbares qui s’emparèrent de lui et le martyrisèrent près de Port-sur-Saône. Il fut inhumé à l’endroit de son martyr, et autour de l’autel que l’on battit en son honneur s’édifia un hameau qui porte désormais son nom, séparé de l’église Saint Etienne de Port par la Saône. Curieusement, Port n’est pas la seule localité où sont associés les saints Etienne et Valère, puisque l’église de Dampvalley est aujourd’hui sous le titre de saint Etienne. Comme tous les martyrs, Valère a pour attribut la palme.
La deuxième palme représente saint Pancras (ou Pancrace), dont le village porte le nom depuis plusieurs siècles. En effet, les villages de Betoncourt, Mailleroncourt et Dampvalley appartenaient tous trois au prieuré de Fontaine-lès-Luxeuil, fondé par saint Colomban vers 595. L’église de ce prieuré étant sous le titre de Saint Pancrace, un prieur décida vers la fin du XVIe siècle que les trois villages porteraient désormais le surnom du saint protecteur du prieuré dont ils dépendaient afin de les distinguer de leurs homonymes (Betoncourt-lès-Brotte et Betoncort-sur-Mance, Mailleroncourt-Charrette, et enfin Dampvalley-lès-Colombe, qui depuis 2003 arbore elle aussi la palme de saint Valère dans ses armes).
Né en Phrygie (actuelle Turquie) vers 290, saint Pancras, neveu de saint Denis, fut martyrisé à Rome durant la persécution de Dioclétien en 304. Il est fêté le 12 mai, ce qui en fait un des « saints de glace ». Il était sollicité contre les faux témoignages, probablement parce que son jeune âge en faisait le symbole de l’innocence. De fait, il est toujours représenté sous les traits d’un enfant. Ses attributs évoquent son martyr : il tient souvent une palme ou l’arme qui l’a tué (épée, cimeterre ou lance). Il tient parfois également un cœur, symbole probable de sa foi et de sa pureté (c’est ainsi qu’on le voit en Alsace, à Husseren-les-Châteaux et à Strasbourg).
Dans les armoiries de Dampvalley, c’est le cœur qui a été choisi pour rappeler saint Pancras, en référence au manteau de la cheminée de l’ancienne maison seigneuriale du village, orné d’un magnifique cœur en bas-relief. Il est toutefois délicat d’affirmer que ce cœur est ici une évocation du culte de saint Pancras, dans la mesure où le manoir n’a pas été bâti par les prieurs de Fontaine mais par des seigneurs laïcs, la famille Courtaillon, avec lesquels les religieux se partageaient la domination seigneuriale sur le village. En outre, on trouve ailleurs en Franche-Comté des cheminées ornées de ce type de motif, et il faut probablement y voir plus simplement une marque de foi destinée à protéger le logis seigneurial.
2. L’histoire et les anciens seigneurs du village
Le souvenir des prieurs de Fontaine est évoqué par le cœur de saint Pancras.
Les religieux partageaient le village avec des seigneurs laïcs, dont les plus proéminents furent les Courtaillon. Venue de Fontenois-le-Château en Lorraine au XVIIe siècle, la famille Courtaillon s’installa à Montdoré et à Dampvalley, où elle est attestée depuis au moins 1665 jusqu’à la Révolution. Pour rendre patente leur domination - même partielle - sur le village, ils accolèrent à leur patronyme le nom de Dampvalley, et firent bâtir un manoir qui subsiste.
A l’origine, les Courtaillon ont pour armoiries « de gueules au mouton paissant d’argent », c’est-à-dire sur fond rouge, un mouton blanc en train de paître. En 1696, Louis XIV ordonna à tous les porteurs d’armoiries de les faire enregistrer dans un immense recueil, l’Armorial général, moyennant finance. Les Courtaillon négligèrent de le faire. Cela ne les dispensa pas de s’acquitter de la taxe exigée, et ils furent en outre gratifiés d’armoiries attribuées d’office, composées arbitrairement par l’administration. Ainsi, le sieur Courtaillon de Dampvalley reçut un écu « d’argent au sautoir alésé de gueules, chargé de cinq molettes d’or » (il s’agit du projet initialement proposé à la commune), et son parent Clément Courtaillon, seigneur de Montdoré, des armes « d’azur à un ours debout d’or » !
Pour évoquer les Courtaillon ont été retenus ici quelques éléments simples de leurs armoiries : le flanchis (petite croix en forme de signe de multiplication, qui rappelle les armes au sautoir alésé) et le mouton paissant. Ces figures ont été choisies en raison de leur faculté à représenter d’autres aspects de l’identité du village.
3. La ruralité du village
Si le mouton a été retenu, c’est en raison de sa capacité à représenter également la dimension rurale du village. La couleur sinople (verte) vient compléter cette symbolique rurale en soulignant l’importance des bois communaux.
4. L’appartenance à la Franche-Comté
Le flanchis rouge sur fond blanc, également appelé croix de saint André, était un des emblèmes du comté de Bourgogne (aujourd’hui Franche-Comté). Cette croix figurait notamment sur les bornes placées à la frontière de la Comté et de la Lorraine (le musée de Fougerolles en conserve plusieurs), et sur les armoiries de Jussey, bourg fortifié défendant les confins septentrionaux de la province. Sur l’écu de Dampvalley, elle rappelle donc la position géographique de la commune, village comtois à la frontière avec la Lorraine.
5. Une touche de civisme pour conclure…
Barrer d’une croix rouge, c’est indiquer un refus catégorique. Au contraire, le mouton est volontiers le symbole de l’acceptation docile. Entre ces deux choix, le cœur balance…
On peut donc voir dans cette composition une représentation de la liberté municipale acquise depuis la Révolution. Désormais libérée de la tutelle de ses seigneurs laïcs et religieux, la communauté prend en mains son destin par l’intermédiaire de ses élus. Dampvalley est donc libre de choisir son avenir « selon son cœur », c’est à dire par sa volonté propre, pouvant refuser (la croix rouge) ou accepter (le mouton blanc) librement les projets qui s’offrent à elle. Le cœur est d’or (jaune) afin de mettre en avant l’esprit de concorde et de solidarité indispensables à une vie communale harmonieuse.
La devise permet donc de donner aux armoiries un contenu civique mettant en valeur les vertus de la démocratie locale.
Sources
GAUTHIER (Jules et Léon), Armorial de Franche-Comté, Paris, 1911, p. 65, n° 766.
HOZIER (Charles d’), Armorial général de France, recueil officiel dressé en vertu de l’édit de 1696, publié par Henry Bouchot, Franche-Comté, Dijon, 1875, p. 244, n° 171 (Courtaillon de Dampvalley) et p. 250, n° 96 (Courtaillon de Montdoré).
LURION (Roger de), Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, pp. 241-242.
S.A.L.S.A., La Haute-Saône, Nouveau dictionnaire des communes, t. II, Vesoul, 1970, pp. 344-346 (Dampvalley-Saint-Pancras), t. III, 1971, pp. 75-79 (Fontaine-lès-Luxeuil), t. V, 1973, pp. 16-21 (Port-sur-Saône).
THIOU (Eric), Les seigneurs et le régime seigneurial en Franche-Comté de la Conquête à la Révolution, s.l., 1995, pp. 395-396.