Saint-Laurent-La-Roche (2009)
BLASONNEMENT
D’or aux deux chevronnels rangés en fasce, la jambe senestre du premier passée en sautoir avec la jambe dextre du second, le tout uni à la croisure, la cime du premier chevronnel terminée par une croisette pattée, celle du second par une tour ajourée du champ, le tout de gueules ; la croisure cantonnée, aux flancs et en pointe, de trois flammes de même et, en chef, d’un écusson coupé de gueules à la fleur de souci d’or et d’azur à l’épée d’argent.
Timbre : couronne murale à trois tours d’or, celle du milieu ouverte de gueules, les deux autres ajourées de même, le tout sur un cercle de rochers aussi d’or.
Supports : deux bâtons écotés et vrillés de gueules, passés en sautoir derrière l’écu, fruités chacun d’une grappe de raisin d’or, les deux grappes flanquant l’écu.
SYMBOLIQUE
I. Un site grandiose
« Rien de fantastique comme le site de Saint-Laurent. Figurez-vous une longue chaîne de montagnes, dont la ligne de faîte est brusquement interrompue par une profonde échancrure, en forme de croissant. La pointe au nord, appelée la Roche, est formée par un rocher taillé à pic sur trois de ses faces. Elle supportait jadis un château fort qui joua un rôle particulièrement dramatique dans les annales du pays. La pointe au sud est une montagne conique, appelée le Châtelet, qui supporte sur ses flancs l’église paroissiale, dont le clocher apparaît de loin comme le mât d’un navire. Le bourg descend en amphithéâtre sur le revers oriental de la Roche. »
Due à Alphone Rousset, cette description de 1855 rend à merveille compte de l’originalité du site de Saint-Laurent. C’est ce site unique qui a déterminé la composition générale du blason : les deux chevrons représentent les deux monts séparés par une étroite vallée.
A l’ombre de la croix…
Le mont de gauche, surmonté d’une croix, figure le Châtelet, pôle spirituel de la localité et des environs. En effet, si son nom renvoie aux fortifications qui le coiffaient primitivement, ce mont s’imposa aux cours des siècles comme un centre religieux au rayonnement local important. C’est sur son flanc que fut bâtie une église dédiée à saint Laurent. Un prêtre y est connu dès 1150 ; la paroisse englobait non seulement Saint-Laurent, mais aussi Arthenas, Augisey, Essia, Geruge, Belière (village détruit, proche d’Essia) et Grandfontaine (devenu hameau d’Augisey), ainsi que des fermes isolées.
Dès la seconde moitié du XIIe siècle, un prieuré relevant de Gigny s’implanta à proximité, doté de pouvoirs importants sur la population.
Si l’église dédiée à saint Laurent subsiste et conserve des éléments du XVe siècle, les bâtiments du prieuré furent ruinés en 1637.
Et au pied du donjon…
Le mont de droite, surmonté de la silhouette d’une tour, évoque le château de la Roche, bâti au XIIe siècle par Etienne II, comte de Bourgogne. Le château devint le siège d’une des plus puissantes seigneuries de Franche-Comté, étendant sa domination sur une quinzaine de villages alentour. Véritable nid d’aigle, il se composait d’une enceinte fortifiée défendue par plusieurs tours, et dominée par un imposant donjon carré. D’après Rousset, Philippe II d’Espagne, soucieux de châtier le rebelle Guillaume de Nassau qui en était le maître au XVIe siècle, ordonna le démantèlement de la forteresse en 1570. Cette décision ne signa pas pour autant la fin de la destinée du château, qui fut réparé à l’occasion de la guerre de Dix Ans (1634-1644), et connut alors une nouvelle heure de gloire. Prise par les Français en 1637, la citadelle fut audacieusement reprise en 1641 par le capitaine Lacuzon. En 1668, Louis XIV en ordonna la destruction complète : il n’en reste plus rien aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, sur le blason, le château est représenté sous la forme d’une simple silhouette de tour.
A partir de 1192, le prieur et le comte gérèrent conjointement la localité : la croix (puissance ecclésiastique) et la tour (puissance militaire) placées à même hauteur reflètent donc bien cette situation. Leur position élevée est à l’image de la domination exercée autrefois par Saint-Laurent, tant sur le plan spirituel que seigneurial.
…Un village de vignerons se développe
Le village de Saint-Laurent s’est développé à partir de quelques maisons construites au pied du prieuré, d’une part, puis du château, d’autre part. Plus bas, depuis une époque inconnue, d’autres maisons peuplèrent le vallon. Ces trois foyers de peuplement sont représentés par les trois flammes.
Le territoire de la commune, montagneux et peu fertile, se prête admirablement à la viticulture qui, pendant des siècles, a assuré d’importants revenus aux habitants. Les coteaux de Saint-Laurent donnent un vin « de bonne qualité est très apprécié », nous dit Rousset en 1855. Autrefois florissante, l’activité viticole ne survit plus aujourd’hui que chez quelques familles, qui produisent un vin destiné à un usage privé. La viticulture est rappelée par les deux grappes de raisin d’or.
II. Deux personnages fortement liés à l’histoire de la commune : Etienne de Chalon et Lacuzon
L’or et le gueules du blason sont les couleurs des Chalon (armes : de gueules à la bande d’or), en mémoire du comte qui jeta les bases de la municipalité et veilla à son développement. En effet, soucieux d’assurer l’essor de la localité qui se mettait en place au pied de sa forteresse, le comte Etienne de Chalon accorda au bourg en 1284 une charte de franchise assortie d’un certain nombre de privilèges, ainsi qu’une organisation municipale.
L’écusson qui prend place en chef de l’écu est aux armes de Claude Prost, plus connu sous le nom de capitaine Lacuzon. Par une nuit de novembre 1641, il réussit à escalader la forteresse de la Roche, à s’en emparer et faire prisonnière la garnison française qui la tenait depuis 1637. Cet exploit authentique lui valut du roi d’Espagne le titre de capitaine de la place. A partir de l’année suivante, la notoriété de Lacuzon s’accrut : sa forteresse de Saint-Laurent lui servit de base pour harceler les garnisons françaises basées en Bresse.
Si les Français durent renoncer provisoirement à la conquête de la Franche-Comté, ce n’était que pour y prétendre à nouveau quelques décennies plus tard. Conscient de la menace, le brave capitaine anticipe les ordres de ses supérieurs et prend dès juillet 1667 des mesures pour mettre la forteresse en état de défense. Mais la campagne-éclair menée par Louis XIV en février 1668 amène une reddition rapide de toutes les villes comtoises. Saint-Laurent est une des dernières places à résister, si bien que le 21 février, le parlement de Dole, qui a capitulé devant le roi de France, ordonne à Lacuzon de remettre aux Français la forteresse où il tâchait « de se maintenir, nonobstant que toute la province se soit soumise à l’obéissance de Sa Majesté ».
La tradition locale avance que c’est avec beaucoup de courage que les villageois tinrent bon face aux canonnades françaises : pour suppléer à la faiblesse des effectifs, Lacuzon aurait même imaginé de placer sur les murailles des mannequins vêtus d’habits militaires. Seule la trahison d’un domestique serait venue à bout de la résistance comtoise, contraignants les vaillants résistants à capituler.
En réalité, le château était déserté lorsque les Français s’y rendirent, et Lacuzon prêta à son tour serment au roi de France entre le 27 février et le 3 mars. Sans doute le fit-il la mort dans l’âme : un témoin rapporte qu’il paraissait, ce jour-là, « comme un homme tombé des nues ».
Pendant que l’on détruisait la forteresse de Saint-Laurent, Lacuzon s’était retiré sur ses terres de Saint-Claude. Regrettait-il sa soumission ? La suite des événements le suggère. Après le départ - provisoire - des Français quelques mois plus tard, Lacuzon se vit à nouveau confier d’importantes responsabilités militaires par les Espagnols. Lorsque l’ambitieux Listenois l’entretint de son intention de se soulever contre la couronne d’Espagne, il s’empressa de révéler le projet, avant de participer lui-même à la répression sanglante de cette trahison. Et lorsque, malgré ses ultimes combats, la Franche-Comté devint définitivement française en 1674, il choisit l’exil à Milan où il s’éteignit en 1686.
C’est par la prise de la forteresse de Saint-Laurent que Lacuzon acquit sa notoriété. Haut-lieu de l’épopée devenue légendaire de Lacuzon, le commune ne pouvait manquer d’évoquer le souvenir du combattant : l’écusson à ses armes (coupé de gueules au souci d’or et d’azur à l’épée d’argent) rappelle, par l’épée, sa carrière militaire, tandis que la fleur de souci donne le sens de son surnom (en patois, la cuson désigne cette fleur). Les armoiries de Lacuzon ont également inspiré celles de son village natal, Longchaumois.
III. Un nom prestigieux mis en valeur
Dans les armoiries, le nom de la commune peut se lire à la fois horizontalement et verticalement.
Horizontalement, les sommets des chevrons évoquent l’église Saint Laurent et le château de la Roche.
Verticalement, la couronne murale, qui est l’emblème de l’autorité municipale, est posée sur un cercle de roche afin d’évoquer la forteresse de la Roche, tandis qu’à la pointe de l’écu, les flammes placées entre les bras des chevrons évoquent le gril, attribut de saint Laurent, qui fut l’instrument de son martyre. En Franche-Comté sous l’Ancien Régime, les habitants de Cendrecourt avaient eux aussi adopté pour emblème un gril pour évoquer le patron de leur paroisse.
IV. Une identité comtoise solidement affirmée
L’identité comtoise de la commune est affirmée de trois manières différentes :
- - l’or et le gueules sont les couleurs de la famille de Chalon, et, à ce titre, prennent place dans les armes du département du Jura;
- - les armoiries de Lacuzon évoquent ce grand héros régional comtois entré dans la légende comme le défenseur de la Comté contre ses ennemis;
- - la croix de saint André fut pendant plusieurs siècles le signe de ralliement des Comtois, et tout particulièrement des fidèles au roi d’Espagne dont elle était l’emblème. Cette croix posée en diagonale est rouge, et ses branches prennent souvent l’aspect de bâtons noueux. On la retrouve derrière l’écu de la commune.
Sources et bibliographie
Jules et Léon GAUTHIER, Armorial de Franche-Comté, Paris, 1911, p. 75.
Maurice GRESSET, « De l’ordre espagnol à l’ordre français : Lacuson, Gadagne et le château de Saint-Laurent après la première conquête française (février-mars 1668) », Travaux de la Société d’émulation du Jura (1997), Lons-le-Saunier, 1998, p. 159-174.
Pierre LACROIX, Églises jurassiennes romanes et gothiques. Histoire et architecture, Besançon, 1981, p. 250-251.
Gérard LOUIS, La guerre de Dix Ans (1634-1644), Besançon, 2005.
Roger de LURION, Nobiliaire de Franche-Comté, Besançon, 1890, p. 649-650.
Alphonse ROUSSET, Dictionnaire géographique, historique et statistique des communes de la Franche-Comté et des hameaux qui en dépendent, classés par département. Département du Jura, t. III, Besançon, 1855, p. 387-398.
L’auteur adresse ses plus vifs remerciements à Madame Agnès de Belleville pour sa contribution à l’amélioration de cette notice.