Laire (2013)

Les armoiries de Laire, composition de Nicolas Vernot

Les armoiries de Laire, composition de Nicolas Vernot

La commune de Laire n’a jamais eu d’armoiries par le passé. Petit village à l’histoire modeste, marqué par un dépouillement propre à la culture protestante, Laire se devait de posséder des armoiries épurées. Pour autant, simplicité n’est pas simplisme : la symbolique très élaborée du blason retenu par le conseil municipal montre qu’au-delà des apparences, Laire possède une identité riche et forte, que les armoiries mettent en lumière… et en couleur.

Les armoiries ont été entérinées par le Conseil municipal le 28 janvier 2013.

BLASONNEMENT

Le blasonnement est la description en langage héraldique des figures et couleurs de l’écu.

Parti d’argent et de gueules, à deux branches de sinople, passées en sautoir et mouvantes chacune d’un angle de la pointe, brochantes sur le parti, celle en bande de chêne fruitée de trois pièces d’or, les cupules de gueules, celle en barre d’alisier torminal fleuri de trois pièces d’argent, boutonnées d’or, le tout accompagné en chef de deux bars adossés de l’un en l’autre et en pointe du clocheton de la mairie du lieu sommé de son coq, le tout d’azur, mouvant de la pointe et brochant sur le parti, ajouré d’or, le cadran d’horloge de même.

Devise : « Aut concordia, aut robore » : « soit par un bon accord, soit par la résistance ».

A la pointe de l’écu est appendue la Croix de Guerre 1939-1945 avec étoile de bronze.

SYMBOLIQUE

Bien que Laire appartienne au Pays de Montbéliard, il s’agit d’une commune épargnée par l’urbanisme et l’industrialisation. Cet aspect apparaît immédiatement à la vue du blason : les deux bars adossés, emblème bien connu du Pays de Montbéliard, localisent la commune, tandis que les deux branches en soulignent l’aspect rural préservé. Autrefois peuplé d’agriculteurs, Laire a dû son accroissement démographique d’après-guerre à la proximité des usines du bassin montbéliardais. Couleur du lait, l’argent (blanc) évoque la population paysanne d’autrefois tournée vers l’élevage, tandis que le gueules (rouge), couleur du fer et du feu, représente les nouvelles populations employées par l’industrie.

Cette première lecture des armoiries, géographique, doit être complétée par une interprétation plus profonde, plus enracinée.

Laissez-vous conter Laire…

DE LA DIVISION A L’UNIFICATION

Tout comme ses voisines Aibre, Bussurel, Champey, etc., Laire était sous l’Ancien régime un village mi-parti entre le comté de Montbéliard et la seigneurie d’Héricourt.

Un village mi-parti…

Lorsque le village de Laire apparaît dans les textes au XIIIe siècle, il est déjà morcelé entre plusieurs seigneurs, tant laïcs qu’ecclésiastiques. La principale partie était tenue en fief par des vassaux du comté de Montbéliard, parmi lesquels Pierre de Montbéliard, chevalier, qui vivait en 1293. Parmi les établissements religieux possessionnés à Laire au XIIIe siècle, on compte l’abbaye de Lure et le chapitre de l’église collégiale de Saint-Maimboeuf de Montbéliard.

D’après le pasteur Beurlin, lors du partage de la succession du comte Renaud de Montbéliard en février 1326, la portion de Laire qui était tenue en fief resta annexée au comté de Montbéliard ; le reste de Laire, c’est-à-dire environ le quart, entra dans la composition de la seigneurie d’Héricourt. Toutefois, pour d’autres historiens, c’est la plus grosse partie qui dépendait d’Héricourt et la plus petite qui relevait du Montbéliard. La complexité de la situation seigneuriale occasionna des contestations continues entre les deux parties.

On nota une accalmie de 1561 jusqu’au règne de Louis XIV. En effet, le comte de Montbéliard mit la main sur la seigneurie d’Héricourt en 1561, si bien qu’à cette date, les deux seigneuries du village, tout en conservant leurs structures spécifiques, furent réunies sous l’autorité du même prince. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, deux maires furent institués à Laire par le gouvernement de Montbéliard, l’un pour le comté de Montbéliard et l’autre pour la seigneurie d’Héricourt ; ce régime devait fonctionner jusqu’en 1793.

La conquête de la Franche-Comté par Louis XIV en 1674, suivie de l’annexion militaire de la seigneurie d’Héricourt par le même roi en 1700, relancèrent les contestations au sujet de la possession de Laire : en effet, du côté français comme du côté montbéliardais, les juristes s’échinèrent à démontrer la légitimité des revendications de leur prince face à son adversaire… Ils mirent tant de talent à justifier leurs vues que les historiens d’aujourd’hui sont bien en peine de savoir qui avait raison…

Sur les armoiries, cette histoire est rappelée comme suit :

- La division en deux moitiés verticales, appelé parti, rappelle que le village était mi-parti entre deux seigneuries (Héricourt et comté de Montbéliard) du XIIIe siècle à la Révolution ;


- Le rouge et le blanc sont les couleurs de la seigneurie d’Héricourt telles qu’elles figurent sur ses armoiries, dont deux versions sont connues : soit parti d’argent et de gueules, soit coupé de gueules et d’argent au tau de gueules ;

- Les deux bars (poissons stylisés et adossés) représentent les armes du comte de Montbéliard (de gueules à deux bars adossés d’or).

- La coloration de l’un en l’autre rappelle que chaque souverain (roi de France et comte de Montbéliard) réclamait la partie adverse du territoire de Laire.

- En plaçant les deux bars de part et d’autre de la ligne de partition, on montre que de 1561 jusque vers 1700, le comte de Montbéliard fut le seigneur des deux parties du village.

- La position dominante des deux bars souligne, de plus, le rôle prépondérant des Montbéliard dans l’histoire du village (outre les éléments cités, ajoutons : en 1231, première mention connue du village de Laire dans une charte du comte Thierry III de Montbéliard, dont un des témoins est « dominus Hugo de Layr » et en 1568, introduction de la Réforme par les Wurtemberg).

…Réunifié par la République

Mi-parti jusqu’en 1793, Laire a été réunifié selon un processus que nous explique le pasteur Beurlin : « lors de l’organisation des municipalités en France, en janvier 1790, la partie du village de Laire qui dépendait de la seigneurie d’Héricourt ne put avoir une municipalité entière, à cause de la faible population qu’elle comprenait. Lors des nouvelles divisions de la France en 1790, cette même partie entra dans le canton d’Héricourt, dans le district de Lure et dans le département de la Haute-Saône. Lors de la réunion du comté de Montbéliard à la France en 1793, la partie de Laire qui dépendait de ce comté, entra dans la justice de paix de la campagne de Montbéliard, dans le district de Montbéliard et dans le département de la Haute-Saône ; et l’administration en resta provisoirement confiée au maire qui avait reçu sa nomination de l’ancien régime. Chaque partie du village appartenait donc à un district différent, et avait une administration différente. Par un arrêté du 9 décembre 1793, Bernard de Saintes, représentant du peuple en tournée dans le pays, réunit les deux parties de Laire sous une même municipalité dont il nomma lui-même les membres ; et la commune entière de Laire fut dès lors du ressort de la justice de paix de Montbéliard, pour la campagne, du district de Montbéliard et du département de la Haute-Saône. »

L’unité retrouvée de la commune grâce à la République est symbolisée par le clocheton de la mairie placé au-dessus de la ligne de division. Même si la mairie a été bâtie en 1828, l’union municipale remonte à 1793, sous la 1ère République. Aussi la couleur bleue du clocheton, associée au rouge et au blanc de l’écu, forme-t-elle les couleurs républicaines.

L’or du cadran et de la fenêtre ajoute une note lumineuse, et souligne le fait que le village est accueillant.

LE CHÊNE ET L’ALISIER, DEUX SYMBOLES COMPLÉMENTAIRES

Comme dit en introduction, il importe de souligner le caractère rural de cette commune du pays de Montbéliard. En raison de leur dimension symbolique forte, le chêne et l’alisier, qui comptent parmi les principales essences de la forêt qui couronne la commune, ont été retenus.

Le chêne, symbole de résistance

Très présent, le chêne est à l’origine de plusieurs noms de lieux : le Chênoi et l’impasse du même nom, ainsi que la rue du pré aux Chênes.

Cet arbre robuste est depuis l’Antiquité le symbole de la force, du courage, de la résistance, qualités dont surent faire preuve les Lairois lorsque leurs valeurs furent menacées.

- Le village, qui a toujours été petit (9 maisons en 1688, 15 en 1709), subit au cours de son histoire pillages et destructions, mais se releva courageusement : pillé lors du passage des troupes du duc de Guise en 1587-1588, il fut plus durement frappé encore lors la guerre de Trente Ans (1618-1648). Fait significatif : il ne subsiste aucune ferme antérieure aux années 1670-1680 ; la plupart ont été bâties au XVIIIe siècle.


- Sur le plan religieux, les habitants de Laire eurent à subir les persécutions du roi de France : en 1684, le temple de Tavey, où se retrouvaient les habitants de Laire, fut recatholicisé sur ordre de Louis XIV. Privés de sanctuaire, les villageois durent se rendre à Vyans puis à Héricourt pour y célébrer leur culte. D’autre part, le curé royal exigea des Lairois qu’ils contribuent au financement du culte catholique. La persécution se borna à ces exigences et le village ne compta qu’une abjuration au XVIIIe siècle.


- Surtout, les habitants de Laire s’impliquèrent activement dans la Résistance et la Libération du pays lors de la IIe Guerre Mondiale : neuf villageois payèrent leur engagement de leur vie.

L’histoire a révélé que les habitants de Laire se sont montrés courageux et résistants. Le chêne est le symbole de la force, de la résistance, tandis que la couleur rouge des cupules évoque le sang versé pour la France.


L’alisier, symbole de concorde

Comme le chêne, l’alisier est très fréquent dans la forêt de Laire où se trouve d’ailleurs un alisier torminal remarquable par sa taille.

Toute aussi remarquable est la symbolique de cet arbre pourtant rare en héraldique : c’est en effet le symbole de l’accord, de l’harmonie, probablement parce que son bois très dur et très homogène est utilisé pour la fabrication d’instruments de musique à vent. C’est, à n’en pas douter, l’arbre des sens : ses fleurs en grappes au doux parfum, ses beaux fruits rouges, son feuillage magnifique en automne en font un arbre magnifique et apprécié pour ses qualités ornementales.

Sur le blason, l’alisier en fleur vient contrebalancer la rudesse du chêne. Symbole de l’harmonie et de l’accord, il montre que la division ancienne du village en deux est désormais oubliée. Il souligne la douceur de vivre à Laire, la beauté de son cadre naturel et l’importance accordée au patrimoine arboré local.

Tandis que le chêne évoque le courage dans les moments difficiles, l’alisier symbolise la douceur de vivre, la paix et la joie que procure la contemplation d’un cadre naturel préservé, source d’inspiration pour les poètes et de joie pour les promeneurs.

DEVISE ET DÉCORATION

Rédigée en latin, la devise choisie est « Aut concordia, aut robore », ce qui signifie « soit par un bon accord, soit en résistant ».

En effet, le mot concordia renvoie à l’idée de bon accord, d’harmonie dont l’alisier est le symbole. Quant au mot robore, il dérive de robur, qui désigne à l’origine en latin un chêne au bois très dur (chêne rouvre) ; métaphoriquement, le mot est venu à désigner la force, la résistance, la solidité (cf en français la robustesse).

La devise proposée éclaire donc le sens symbolique du chêne et de l’alisier dans les armoiries, en soulignant que les habitants de Laire, pacifiques, tolérants et ouverts à la discussion, se sont montrés au cours de leur histoire prêts à défendre leurs valeurs avec vigueur lorsqu’elles étaient menacées.

Ce dernier aspect est d’ailleurs confirmé par la présence de la Croix de Guerre avec étoile de bronze décernée le 11 novembre 1948. Libéré le 16 novembre 1944, le village a durement payé son implication dans la Résistance et le combat pour la Libération : 9 habitants furent tués, dont 6 fusillés, tandis que 3 immeubles furent détruits lors des combats.

PRINCIPALES SOURCES UTILISEES

Charles BEAUQUIER, Blason populaire de Franche-Comté, 1e éd. Paris, 1897, rééd. Rosheim, 1985, p. 158-159.

Pierre-Frédéric BEURLIN, Recherches historiques sur l’ancienne seigneurie d’Héricourt, 1881 [daté de 1889 par Jean Hennequin], manuscrit conservé à la Bibliothèque de Montbéliard, transcription de Jean HENNEQUIN, p. 770-777.

Jean-Marc DEBARD, « Laire », dans Jean COURTIEU [dir.], Dictionnaire des communes du département du Doubs, t. IV, Besançon, 1985, p. 1724-1728.

Charles DUVERNOY, « Phrases et mots patois de Montbéliard », dans Charles CONTEJEAN, Glossaire du patois de Montbéliard. Nouvelle édition refondue par Michel THOM de l’Université de Haute-Alsace avec des documents inédits de Charles Duvernoy et G. Pourchot, Montbéliard, 1982, p. 349 et 376.

Emma FAUCON, Le langage des fleurs, Paris, 1860, p. 131.

Julien MAUVEAUX, Armorial du Comté de Montbéliard et des seigneuries en dépendant, Montbéliard, 1913, p. 68-69.

Remerciements

Jean HENNEQUIN, pour avoir mis à notre disposition sa transcription du manuscrit du pasteur Beurlin.

Eric LOZOVOY, pour sa réponse au sujet de l’histoire de Laire.